L'art en sous-sol

Antoine Lefébure, alors directement du développement d’Havas, me fait savoir qu’une nouvelle fondation va voir le jour, la Fondation Bélier. Leur politique n’est pas encore arrêtée, ils sont à la recherche d’idées. J’en parle avec des amis qui m’accompagne dans cette aventure, Béatrice Salmon et Jean-Paul Midant. Le concept d’un partenariat avec Metrobus, la régie d’affichage du métro et des bus parisiens, s’impose aussi tôt à nous. Cela nous permettrait d’aller au devant du publique, là où il se trouve le plus présent au quotidien, dans le métro. Hormis les interventions sauvages des tagueurs dans le métro de New York, il n’y avait encore jamais eu à ma connaissance d'expositions d’artistes dans le métro. Ce serait la première exposition d’art contemporain visible par plusieurs millions de personnes. En France d’autres artistes interviennent directement, à la peinture ou à la bombe, sur des affiches extérieures comme les Frères Ripoulin.

Nous proposons de faire appel à Catherine Viollet, Georges Rousse et aux mousquetaires de la Figuration Libre, Blanchard, Boisrond, Combas et Di Rosa. Ces artistes travailleront en tandem sur plusieurs projets d’affiche. Une seule par équipe sera retenue pour être éditée à plus de 100 exemplaires et affichée quinze jours durant dans le métro.

Le projet est excitant, sa réalisation le sera un peu moins. Les influences culturelles des artistes de la Figuration Libre sont des plus larges, en l’occurrence réellement libres et ouvertes aussi bien sur les beaux-arts que sur toutes les formes d’art populaire. Parmi celles-ci, l’art de l’affiche tient une place de choix. Les grandes campagnes d’affichage de la SNCF ou d’Air France, faisant appels aux plus grands noms de cette forme d’art, ont marquées tous les esprits. Dépassant les frontières des musées, elles sont entrées dans nos foyers. Le souhait des artistes de la Figuration Libre est d’enrichir, par leurs créations, cette mémoire collective.

Malheureusement, ce ne fut ni la SNCF ni Air France, pas plus que d’autres grandes marques populaires déjà profondément ancrées dans cette mémoire collective chérie par ces artistes, mais les magasins Félix Potin qui s’associèrent à notre projet. Curieusement, ou peut-être malicieusement, nombres des projets étaient en parfait décalage avec cette chaîne d’épicerie de proximité. Certains de ces projets retenus, édités et affichés dans le métro était des plus surprenants, pour ne pas dire décalé, comme l’affiche du tandem Blanchard/Combas représentant ce qui apparaît rétrospectivement, et de manière semble t’il flagrante, comme une de ces nombreuses petites « épiceries arabes », alors nouveaux concurrents directs des Felix Potin à tel point que l’on pourrait dire, affiche prémonitoire, qu’ils les ont aujourd’hui remplacés. Surprenant aussi comme l’affiche du tandem Rousse/Viollet intitulée « Le voleur de Tour Eiffel », au titre déjà ambigu, offrant comme visuel celui d’un squat jonché de sacs Felix Potin comme abandonnés.
Surprenantes années 1980 si loin de tout « politiquement, ou en l’occurrence, commercialement correct ».
Un prix de la Fondation Bélier fut attribué au tandem Boisrond/Di Rosa pour son affiche intitulée « A Paris… ».
Hervé Perdriolle